Nom du blog :
subrahmanyakamadhenu
Description du blog :
Pour comprendre l'hindouisme, la civilisation de l'Inde. (Me demander les références si besoin est.)
Catégorie :
Blog Religion
Date de création :
24.05.2009
Dernière mise à jour :
02.02.2017
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Derniers commentaires RechercheGrottes-temples d'Ellora, le Dieu Shiva (Âme universelle) entouré des Matrikas (Mères, symbolisant les aspects à la fois féconds et destructeurs de la Nature)
"Le Bouddha se trouve ici [en Inde] chez lui : "Echapper à la Roue !" Les rivales de Bénarès sont les villes d'une autre vie, alors qu'elle est la ville d'une autre mort. La capitale de la transmigration ? mais ce qui transmigre, transmigre de vie en vie autant que de corps en corps. La tradition, rigoureuse et continue, est déjà précise dans le Milindapanha, qui rapporte les dialogues du bouddhiste Nagasena avec le roi Ménandre, dans quelque cour du Gandhara (...) :"
"– Un homme monte avec un flambeau à l'étage supérieur de sa maison et y prend son repas. Le flambeau met le feu au chaume du toit, le chaume à la maison, la maison au village. Les villageois se saisissent de l'homme : "Pourquoi as-tu incendié le village ? – Je n'ai pas incendié le village. Autre le feu à la lueur duquel j'ai mangé, autre le feu qui a brûlé le village."
– Le feu qui a brûlé le village est sorti du premier.
Sans doute celui qui renaît est autre que celui qui meurt, mais il en procède : on ne peut donc dire qu'il soit affranchi des péchés antérieurs."
(...)
La vérité de la mort, domaine de l'invérifiable, ne peut être que l'objet d'une révélation. Mais cette révélation, c'est la relation de l'Inde et du monde, dans sa totalité. "La flamme, toujours la même, de la torche qui ne cesse de changer en se consumant..." dit le bouddhisme ; et le brahmanisme : "Les flots toujours différents du Gange toujours semblable..." Les Jaïns font verser du sucre en poudre sur les places pour nourrir les fourmis, et la légende nous montre un enfant brâhmane (qui est Vishnou) reçu par Indra, et qui éclate de rire devant une procession de fourmis. "Pourquoi ris-tu, être mystérieux sous l'apparence d'un enfant ? – Chacune de ces fourmis a été jadis un Indra, et il faut vingt-huit royautés d'Indras pour qu'un jour et une nuit de Brahmâ s'accomplissent..." (...) Un cycle cosmique compte plus de quatre millions d'années ; un jour de Brahmâ, quatre milliards, et un cycle de Brahmâ, plus de trois cent mille milliards ; quel que fût le nombre, l'hindouisme était prêt à lui donner un multiplicateur. Mais ce temps animé par la naissance, la vie et la mort de ses cycles, entre dans une dialectique sans fin avec l'essence du monde, qui ne renaîtra pas semblable à ce qu'elle est – malgré l'inéluctable retour à son origine éternelle. Les cycles cosmiques nous font penser aux années-lumières, mais nous ne vivons pas dans les années-lumières, alors que l'Hindou vit dans les cycles cosmiques. Ce n'est par Shiva, c'est Vishnou, Dieu de l'Harmonie cosmique, qui dit : "Les moyens privilégiés de ma mâyâ sont les âges cosmiques. Mon nom est Mort-de-l'Univers." Les professeurs de l'Université sanscrite m'ont dit que l'histoire de l'ascète Nârada (...) était étudiée à leur Université (arbres sacrés, salles en style gothique anglais, professeurs en robes jaunes) dans le Matsya Purana, mais qu'elle était aussi contée par les nourrices..."
"Dans la solitude de la forêt, Nârada médite, le regard fixé sur une petite feuille éclatante. La feuille commence à trembler ; bientôt le grand arbre tout entier frémit comme au passage des moussons, dans la luxuriance immobile sur le sommeil des paons : c'est Vishnou."
" – Choisis entre tes souhaits, dit le bruissement des feuilles dans le silence.
– Quel souhait formerai-je, sinon connaître le secret de ta mâyâ [illusion cosmique] ?
– Soit ; mais va me chercher de l'eau."
"Dans la chaleur, l'arbre flamboie.
"L'ascète atteint le premier hameau, appelle. les animaux dorment. Une jeune fille ouvre. "Sa voix était comme un noeud d'or passé autour du cou de l'étranger" ; pourtant les occupants le traitent en familier, au retour longtemps attendu. Il est des leurs depuis toujours. Il a oublié l'eau. Il épousera la fille, et chacun attendait qu'il l'épousât."
"Il a épousé aussi la terre, l'écrasant soleil sur les sentiers de terre battue où passe une vache, la rizière tiède (...). Il a découvert les bêtes et les plantes secourables, la tombée du soir sur le corps épuisé, la profondeur du calme après la récolte, les saisons qui reviennent comme comme le buffle revient du point d'eau à la fin du jour. Et le sourire des enfants maigres, les années de disette. Son beau-père mort, il est devenu le chef de la maison.
"Une nuit de la douzième année, l'inondation périodique noie le bétail, emporte les habitations. Soutenant sa femme, conduisant deux de ses enfants, portant le troisième, il s'enfuit dans la coulée de la boue primordiale. L'enfant qu'il porte glisse de son épaule. Il lâche les deux autres et la femme pour le ressaisir : ils sont emportés. A peine s'est-il redressé dans la nuit emplie par le fracas gluant, qu'un arbre arraché l'assomme. L'épais torrent le jette sur un rocher ; lorsqu'il reprend à demi connaissance, seul l'entoure le limon où dérivent les cadavres d'arbres chargés de singes..."
"Il pleure dans le vent qui s'éloigne : "Mes enfants, mes enfants...""
""Mon enfant, répond en écho la voix soudain solennelle du vent, où est l'eau ? J'ai attendu plus d'une demi-heure...""
"Vishnou l'attend dans la forêt au flamboiement immobile, devant le grand arbre frémissant."
(...)
"Depuis le texte des Purana jusqu'aux contes de nourrices, le retour au "réel" appartient lui aussi à un cycle de l'apparence – et Vishnou même n'appartient qu'à un cycle supérieur... Ce n'est pas pour avoir été un rêve que la seconde existence de Nârada ne compte pas. Certes la mâyâ ne se limite pas au règne du temps, mais tout ce qui subit le temps est mâyâ."
(...)
"[Face à l'Inde] Je venais de retrouver l'une des plus profondes et des plus complexes rencontres de ma jeunesse. Plus que celle de l'Amérique préhispanique, parce que l'Angleterre n'a détruit ni les prêtres ni les guerriers de l'Inde, et que l'on y construit encore des temples aux anciens dieux. Plus que celle de l'Islam et du Japon, parce que l'Inde est moins occidentalisée, parce qu'elle déploie plus largement les ailes nocturnes de l'homme ; plus que celle de l'Afrique par son élaboration, par sa continuité. Loin de nous dans le rêve et dans le temps, l'Inde appartient à l'Ancien Orient de notre âme. Les derniers rajahs ne sont pas des pharaons, mais les brâhmanes de Bénarès évoquent les prêtres d'Isis, les fakirs ont fait rêver Alexandre le Grand, et les paons dans les palais déserts d'Amber m'avaient rappelé les foules de Chaldée ébahies par les ambassadeurs des royaumes indiens "dont les oiseaux savaient faire des roues". Et cette autre Egypte, dont le peuple et les croyances auraient à peine changé depuis Ramsès, était sans doute la dernière civilisation religieuse, certainement le dernier grand polythéisme. Que devient Zeus, en face de Shiva ? Le seul dieu antique dont le langage soit digne de l'Inde, c'est le dieu sans temples : le Destin."
"De cette civilisation, que connaissais-je réellement ? Ses arts, sa pensée, son histoire. Comme de grandes civilisations mortes – à cela près que j'avais entendu sa musique, et que j'avais rencontré quelques gourous (maîtres), ce qui n'était pas sans importance dans un pays dont la pensée religieuse exprime une Vérité qui ne doit pas être comprise, mais vécue : "Ne rien croire que l'on ait d'abord éprouvé." Je n'avais pas la présomption de "connaître" – au passage... – une pensée qui avait résisté à dix-sept conquêtes et à deux millénaires ; j'essayais de saisir les grandes rumeurs dont elle m'obsédait."
"L'homme peut éprouver la présence de l'Être universel dans tous les êtres, et de tous les êtres dans l'Être universel ; il découvre alors l'identité de toutes les apparences, fussent-elles le plaisir et la souffrance, la vie et la mort, devant lui-même et dans l'Être ; il peut atteindre en lui-même l'essence qui transcende ses âmes transmigrées, et en éprouver l'identité avec l'essence d'un monde d'éternel retour auquel il échappe par sa communion ineffable avec lui. Mais il y a dans la pensée de l'Inde quelque chose de fascinant et de fasciné, qui tient au sentiment qu'elle nous donne de gravir une montagne sacrée dont la cime recule toujours ; d'avancer dans l'obscurité à la lueur de la torche qu'elle porte. Nous connaissons ce mouvement par quelques-uns de nos saints et de nos philosophes ; mais c'est dans l'Inde seule, que l'Être, conquis sur l'apparence et la métamorphose universelles, ne se sépare pas d'elles, mais en devient parfois inséparable "à la façon des deux faces d'une médaille" pour suggérer le chemin d'un inépuisable Absolu qui transcenderait jusqu'à l'Être..."
"Bien entendu, le mot Être traduit mal le Brahman incréé, la Déité suprême – auquel le sage accède par ce qu'il y a de plus profond dans l'âme, et non par l'esprit. Les dieux ne sont que des moyens différents de l'atteindre, et "chacun va à Dieu à travers ses propres dieux."
(...)
"[Au Grand Temple de Madura] Un cortège émergeait lentement de l'ombre. Hommes et femmes étaient manifestement costumés, et la dignité de leur costume les rendait maladroits. Mais le premier couple avait la noblesse des danseurs des épopées, et le sari est sans doute la plus belle robe du monde. Le cortège avançait vers moi, les mains jointes aux doigts allongés pour l'émouvant salut que l'art hindou connaît si peu et que l'art bouddhique connaît si bien : j'étais précédé d'une escorte. "C'est un mariage", me dit Raja Rao. Je marchai vers les mariés ; ne sachant pas un mot de tamoul, je leur souhaitai bonne chance en sanskrit (orientalisme à la hauteur de : good luck). Sur quoi, ils se prosternèrent tous deux. Désemparé, j'allai relever la femme ; mon voisin indien m'arrêta, et nous repartîmes, après de bonnes paroles, vers le carrousel des dieux qui pullulaient dans l'ombre. "Ils vous tiennent pour Vishnou, me dit Raja Rao : ils ont d'ailleurs raison." Il précisa plus tard. Des parents, qui ont fiancé un garçon et une fille, ont épargné pendant des années pour les mener, le jour de leur mariage, au Grand Temple, qui leur portera bonheur. Ils y ont rencontré le vizir d'un pays lointain [c'est-à-dire André Malraux, venant de France] - pays qui n'avait jamais envoyé un vizir à Madura : singulier. Il s'est dirigé vers eux : très singulier. Pour leur souhaiter bonne chance : les vizirs ne souhaitent pas bonne chance aux paysans. En sanskrit (le couple ne sait pas le sanskrit, mais un brâhmane a dit que, etc.) : absolument irréel. Donc, il n'y avait pas de vizir. Ces paroles de bonne fortune étaient envoyées par les dieux : et de se prosterner.
"Après tout, étais-je réellement un vizir ? Cet irréel agissait contagieusement. D'abord, parce que son action n'est pas artistique. Cette frénésie de chevaux ailés et de dieux appartenait à l'irréel de la fête. Les animaux fantastiques en papier fabriqués pour les dernières processions, pourrissaient dans les coins. L'Europe croit que ce qui n'imite pas son réel représente un rêve. Ces figures n'imitaient pas plus un rêve, que celle du Portail royal de Chartres n'imitent les rois de France. Sous ses tours [du Grand Temple de Madura], inextricablement chargées de scènes de sa Passion et de sa Légende dorée, le temple entier est envahi de statues : chevaux cabrés, animaux et personnages divins y poursuivent depuis des siècles, comme sur les tours, leur danse frénétique et pétrifiée. Les fidèles étaient le monde selon la maya [illusion cosmique] des hommes ; le temple, le monde selon la mâyâ [la force qui suscite la Multiplicité réelle] des dieux. Et yoga veut dire union.
"J'imaginais de tels temples dressés sur Bénarès : aucun ne confond mieux les figures animales, humaines et divines, dans sa danse immobile. C'est celle de l'univers, et l'âme du temple est la danse de Shiva. Mais le mot danse nous suggère le contraire de ce qu'il signifie dans l'Inde, qui ignore le bal. La danse des dieux est une solennisation du geste, comme la musique sacrée est une solennisation de la parole. Initialement, Shiva dansait sa victoire sur les ennemis qu'il venait d'exterminer ; mais il danse aussi la danse de Mort, celle que voient les Hindous dans les flammes des bûchers, celle qu'il recommence dans les ténèbres qui suivront à jamais la fin de chaque âge de l'humanité. Un monde de plus a disparu, les bûchers du Gange se sont éteints pour des millénaires, et dans la nuit cosmique, Shiva lève solennellement ses bras multiples pour danser le retour à l'éternelle origine. C'est à travers cette figure, que l'Hindou tente la communion de l'âme qui transcende ses vies successives, avec l'Incréé qui transcende les dieux et les âges du monde :
Puisque tu aimes, Shiva, le Lieu d'incinération,
J'ai fait de mon coeur un Lieu d'incinération,
- Afin que tu y danses ta danse éternelle...
"Comme à Bénarès, je revins la nuit. La foule n'était pas plus religieuse qu'elle ne l'avait été l'après-midi, mais moins affairée - lasse comme les vaches couchées sur lesquelles roucoulaient des tourterelles. Eclairé par les lampes, sans bassins et sans tours, le temple devenait plus fantastique et moins sacré. Devant la statue de Shiva la plus vénérée, un groupe de pèlerins priait à voix haute :
Me voici devant toi pour t'adorer,
Ô mon Dieu qui n'est que moi-même...
(...)
"Les plus grands sculpteurs de ces grottes [d'Ellora] ont voulu saisir l'insaisissable, mieux ou autrement que leurs prédécesseurs. "Ô Seigneur, toi qui prends les formes imaginées par les fidèles..." Mais les fidèles n'inventent pas les formes des dieux : ils les reconnaissent. La prière qui s'imposait ici était plus trouble, et elle était due à un sculpteur : "Ô Seigneur de tous les dieux, enseigne-moi dans les rêves comment exécuter les oeuvres que j'ai dans l'esprit !" Non qu'Ellora soit plus onirique que tant de temples, mais ce qui y règne, et à quoi la prière hindoue fait appel, c'est le domaine immémorial des archétypes et des grands symboles, qui poursuit sa vie nocturne à travers les générations de dormeurs, comme l'esprit, pour ceux qui prient ces dieux, poursuit sa vie à travers eux-mêmes. Temples, statues, bas-reliefs, font partie de la montagne comme une efflorescence du divin. Hindouistes, bouddhistes, jaïns, ils évoquent un invisible qu'ils imitent d'autant moins que ses représentations successives sont toutes légitimes. Le dialogue de l'immobile nirvâna avec les danses des dieux va de soi ; la danse de Shiva que je regarde, passe pour être celle de l'Essence au moment où la mort la délivre du corps, de l'esprit et de l'âme. Et cette danse, même au musée, n'appartiendrait pas au seul monde de l'art ; sa perfection, ici, n'est pas d'ordre artistique, mais de l'ordre énigmatiquement convainquant du mythe, du fauve, de l'orchidée. Oeuvre des dieux. Nulle part j'avais éprouvé à ce point combien tout art sacré suppose que ceux auxquels il s'adresse tiennent pour assurée l'existence d'un secret du monde, que l'art transmet sans le dévoiler, et auquel il les fait participer. J'étais dans le jardin nocturne des grands rêves de l'Inde."
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André Malraux, Antimémoires (1967).