A propos de ce blog


Nom du blog :
subrahmanyakamadhenu
Description du blog :
Pour comprendre l'hindouisme, la civilisation de l'Inde. (Me demander les références si besoin est.)
Catégorie :
Blog Religion
Date de création :
24.05.2009
Dernière mise à jour :
02.02.2017

RSS

Navigation

Accueil
Gérer mon blog
Créer un blog
Livre d'or subrahmanyakamadhenu
Contactez-moi !
Faites passer mon Blog !

Articles les plus lus

· Brâhmane : haute caste de l'Inde, mais de quelle manière ?
· Cosmogonie hindoue
· monogamie, polygamie et polyandrie dans l'hindouisme
· PURUSHARTHA (les Quatre buts de la Vie (de l'Âme))
· L'Amour dans l'hindouisme (1)

· POËMES D'ADONIS (2)
· Le Maître hindou, le Gourou
· Approche synthétique de l'Hindouisme
· POËMES D'ADONIS
· Intouchable et pauvreté
· le fanatisme hindou existe-t-il ?
· CRITIQUE DE L'HUMANISME PAR L'EXEMPLE
· SHIVA PURANA
· André Malraux et l'Inde
· SUR LA DICTATURE ANTHROPOCENTRISTE

Voir plus 

Statistiques 51 articles


Thèmes

afrique amour amoureux animal animaux arya bande belle bonne chez christianisme hindouisme conversion hindouisme

Derniers commentaires
  RSS
Recherche

Le Mahâtmâ Gândhî va avoir 140 ans... (1869-2009) - I

Le Mahâtmâ Gândhî va avoir 140 ans... (1869-2009) - I

Publié le 04/08/2009 à 16:21 par subrahmanyakamadhenu
Le Mahâtmâ Gândhî va avoir 140 ans... (1869-2009) - I

AUTOBIOGRAPHIE, OU MES EXPERIENCES DE VERITE, MOHANDAS KARAMCHAND GANDHI, préface écrite en 1925 (Gandhi Ji est né le 2 octobre 1869).

 

Il existe d’innombrables définitions de Dieu, parce que ses manifestations sont innombrables. Elles me terrassent d’étonnement, de respect et de peur, et pour un moment me laissent muet. Mais j’adore Dieu comme Vérité [Satyâ] seulement. Je ne L’ai pas encore trouvé, mais je Le cherche sans relâche. Je suis prêt à sacrifier ce que j’ai de plus cher à la poursuite de cette quête. Dût ce sacrifice réclamer ma vie même, j’espère être prêt à le consentir. Mais aussi longtemps que cette Vérité Absolue ne sera pas pour moi fait accompli, je devrai m’accrocher à la vérité relative telle que je l’ai conçue. Cette vérité relative doit me servir, en attendant, de phare dans la nuit, de bouclier, de rempart. Bien que cette voie soit étroite et mince comme un fil de rasoir, elle a été pour moi la plus rapide et la plus aisée. Même les bévues grosses comme l’Himâlaya que j’aie commises, ne m’ont pas semblées graves, du fait que je me suis tenu strictement à la voie : car elle m’a épargné nombre d’ennuis sérieux, et j’ai pu aller de l’avant selon ma lumière. Souvent, dans cette marche, j’ai vu luire faiblement, dans un éclair, l’Absolue vérité : Dieu ; et chaque jour la conviction se renforce en moi qu’il n’est d’autre réalité que Lui, que tout le reste est irréel. Que ceux qui en ont le désir, sachent comprendre comment cette conviction s’est renforcée en moi : qu’ils prennent leur part de mes expériences et aussi, s’ils le peuvent, de ma conviction. Il est, d’ailleurs, encore une autre conviction qui s’est raffermie en moi : – que tout ce qui m’est possible, l’est même à un enfant. Et j’ai de saines raisons de parler ainsi. Les instruments nécessaires à la recherche de la vérité, sont aussi simples que complexes. L’arrogant pourra les trouver parfaitement impraticables ; comme l’enfant innocent, parfaitement praticables. Le quêteur de vérité doit s’humilier plus bas que poussière. Le monde foule aux pieds la poussière. Mais le quêteur de vérité doit déposer son ego si bas que ce soit la poussière même qui puisse le fouler. Alors, mais alors seulement, verra-t-il luire un faible éclair de vérité. Le dialogue entre Vasistha et Vishvâmitra illustre abondamment cette évidence. De même que le Christianisme et l’Islam en portent amplement témoignage.

 

Si, dans le contenu de ces pages, le lecteur devait relever un seul trait qui lui parût effleuré par l’orgueil, son devoir serait de considérer que j’ai fait fausse route dans ma quête, et que les faibles lueurs que j’ai eues n’étaient rien de plus que mirages. Que meurent par centaine les hommes comme moi ; mais que la vérité demeure, et l’emporte. N’allons pas dégrader la vérité, ne serait-ce que d’un fil, pour juger d’humbles mortels de mon espèce, sujet à l’erreur.

 

Mon espoir, ma prière, sont que personne ne considérera que les conseils dont les chapitres qui vont suivre seront parsemés, portent la marque de l’autorité. On doit tenir les expériences dont on trouvera ici le récit pour des illustrations, à la lumière desquelles tout un chacun est libre de mener ses expériences personnelles, en se conformant à ses inclinations et à ses capacités. J’ai confiance que, dans cette mesure limitée, ces illustrations seront d’un réel secours ; car je ne dissimulerai ni ne diminuerai nulle laideur dont le récit soit un devoir. J’espère familiariser le lecteur avec toutes mes fautes, toutes mes erreurs. Mon propos est de décrire des expériences qui ont trait à la science du Satyâgraha, ; non pas dire l’homme de bien que je suis. En me jugeant moi-même, j’essaierai d’être aussi âpre et dur que la vérité et que je voudrais que le soient aussi les autres. Me mesurant à cette aune, je ne peux que m’écrier avec Surdâs *[poète hindi, 1483-1563] :

 

Est-il un pervers, un méchant, un jouisseur tel que moi ?

Celui qui m’a donné un corps, je l’ai trahi, moi, gâcheur du sel*.

 

*[Le sel de l’hospitalité, de celui qui m’a nourri : on contracte envers celui qui vous héberge et vous nourrit la « dette du sel », qui est sacrée.]

 

Car c’est pour moi une torture sans relâche, que d’être encore si loin de Celui qui, comme j’en ai la pleine certitude, régit chaque souffle de ma vie, et dont je suis le rejeton. Je sais que ce sont les passions mauvaises, cachées en moi, qui me retiennent si loin de Lui ; et pourtant, je n’arrive pas à me détacher d’elles.

 

Mais il faut terminer. Le vrai récit ne peut commencer qu’avec le prochain chapitre.

 

 

L’ÂSHRAM, SÂBARMATI, 26 novembre 1925, MOHANDAS KARAMCHAND GANDHI

 

******************************************** 1883-1884 (Inde)

 

(…)

 

Un réformateur ne peut se permettre une intimité étroite avec l’être qu’il cherche à changer. L’amitié vraie consiste en une identité d’âmes qu’il est rare de trouver en ce monde. Ce n’est qu’entre natures semblables que peut se former une amitié parfaitement digne de ce nom et durable. Deux amis réagissent l’un sur l’autre. Il s’ensuit que l’amitié ne laisse que peu de champ à la réforme. Je suis d’avis qu’il convient d’éviter toute intimité exclusive ; car l’on accepte plus volontiers l’erreur que le courage. Et qui désire l’amitié de Dieu, doit rester seul, ou prendre le monde entier pour ami. Peut-être ai-je tort, mais mes efforts pour cultiver l’intimité en amitié n’aboutirent, à l’expérience, qu’à des échecs.

 

Une vague de « réforme » déferlait sur Râjkot, à l’époque où je fis la connaissance de cet ami. Il m’apprit que plusieurs de nos professeurs prenaient en secret de la viande et du vin. Il me nomma aussi plusieurs personnalités de Râjkot qui, disait-il, appartenaient au même groupe. A l’en croire, des lycéens en faisaient également partie.

 

J’en fus surpris et peiné. J’en demandai la raison à mon ami, qui m’expliqua ainsi les choses : « Nous sommes un peuple faible, parce que nous ne mangeons pas de viande. Si les Anglais peuvent nous régir, c’est qu’ils sont carnivores. Tu sais combien je suis résistant et comme je cours bien. C’est que je suis carnivore. Les carnivores n’ont pas de furoncles ni de tumeurs ; s’il leur arrive d’en avoir, ils guérissent rapidement. Ceux de nos maîtres qui, comme certaines gens distinguées, mangent de la viande, ne sont pas des idiots. Ils connaissent les vertus de cet aliment. Tu devrais agir de même. Rien de tel que d’essayer. Essaie, et vois par toi-même la force que tu y gagneras. »

 

Tout ce plaidoyer en faveur de l’alimentation carnée ne fit pas l’objet d’une seule séance. Il résume la substance d’une longue et laborieuse argumentation par laquelle mon ami s’efforçait de me convaincre, de temps à autre. Mon frère aîné s’était déjà rendu. Il soutenait donc l’argumentation de mon ami. Assurément, j’avais l’air débile, à côté de mon frère et de cet ami. Tous deux étaient bien plus résistants, plus forts physiquement, plus audacieux. Je me laissai charmer par les exploits de mon ami. Il pouvait courir longtemps et extraordinairement vite. Le saut en hauteur et en longueur n’avait pas de secret pour lui. Il pouvait supporter les plus rudes châtiments corporels. Souvent, il étalait à mes yeux ses exploits et, comme on est toujours ébloui de voir les autres posséder les qualités que l’on n’a pas, j’étais ébloui par le succès de mon ami. Dont s’ensuivait un vif désir de lui ressembler. A peine si je pouvais sauter ou courir. Pourquoi ne pas devenir aussi fort que lui ?

 

En outre, j’étais poltron. J’étais toujours hanté par la peur des voleurs, des fantômes, des serpents. Je n’osais pas mettre le pied dehors, la nuit. L’obscurité me terrifiait. Il m’était presque impossible de dormir dans le noir : j’imaginais des fantômes sortant d’un côté, des voleurs d’un autre, et d’un troisième des serpents. Je ne pouvais donc supporter de dormir sans lumière dans ma chambre. Comment avouer mes peurs à ma femme qui reposait à mon côté ? Elle avait passé l’enfance et se trouvait déjà au seuil de l’adolescence… Je la savais plus courageuse que moi, et j’avais honte. La peur des serpents, des fantômes, lui était inconnue. Elle pouvait aller n’importe où dans le noir. Mon ami était au courant de toutes ces faiblesses : lui, me racontait-il, pouvait tenir à pleine main des serpents vivants, défier les voleurs, et ne croyait pas aux fantômes. Tout cela, bien entendu, parce qu’il était carnivore.

 

Un couplet du poète goujarâti Narmad était à la mode parmi nous, lycéens – couplet qui disait :

 

Voyez l’Anglais comme il est fort

Et asservit l’Indien chétif ;

S’il n’était pas grand carnivore

Il n’aurait pas tant de hauteur.

 

Le tout ne tarda pas à faire son effet. J’étais battu. L’idée grandit bientôt en moi qu’il était bon de manger de la viande, que j’en tirerai force et audace, et que, si le pays tout entier se mettait à ce régime, l’Anglais ne serait plus le maître.

 

Sur quoi, l’on convint d’un jour pour commencer l’expérience. Il fallait la mener en secret. Les Gandhi étaient des Hindous Vishnouïtes. Mes parents, notamment, étaient enracinés dans leur foi. Ils se rendaient régulièrement au Haveli – le temple (vishnouïte) situé dans une habitation. Ma famille avait même ses temples particuliers. Le jaïnisme [hindouisme « hérétique », négateur du Véda (Savoir brahmanique)] était puissant au Gujarat, et son influence se faisait sentir en tous lieux et en toutes occasions. L’opposition au régime carné, l’horreur qu’il inspirait, parmi les Jaïns et les Hindous, n’apparaissait nulle part avec autant de force, soit aux Indes, soit en aucun pays du monde. Et j’étais né, on m’avait élevé, parmi ces traditions. Et j’avais une extrême dévotion pour mes parents. Je savais que le jour où ils viendraient à apprendre que j’avais touché à la viande, le scandale serait mortel. En outre, mon amour de la vérité exigerait encore mes scrupules. Je ne saurai dire que j’ignorais, alors, qu’il me faudrait tromper mes parents si je me mettais à manger de la viande. Mais mon esprit était tout occupé de mon désir de « réforme ». Il n’était pas question de flatter mon palais. Je ne trouvai pas que la viande eût particulièrement bon goût. Je désirais devenir fort et audacieux ; je voulais la même chose pour mes compatriotes, afin que nous puissions battre les Anglais et délivrer l’Inde.

 

********************************************1883-1885 (Inde)

 

Vint donc le fameux jour. (…) Nous partîmes à la recherche d’un coin solitaire, au bord de la rivière, et ce fut là que je vis, pour la première fois – de la viande. Il y avait aussi du pain pour boulanger. Aucun de ces aliments ne m’enthousiasma. La viande de chèvre était dure comme le cuir ; je ne pus même pas l’avaler. J’en eus la nausée et dus renoncer à manger.

 

A la suite de cela, je passai une nuit épouvantable. Un horrible cauchemar me hanta. Chaque fois que je m’assoupissais, il me semblait qu’une chèvre vivante se mettait à gémir en moi, et je sursautais, plein de remords. Mais alors, je me rappelais que de manger de la viande était un devoir, et cela me redonnait du cœur.

 

Mon ami n’était pas homme à renoncer aisément. Il entreprit alors de préparer toute sorte de mets délicats où entrait de la viande, et de les présenter joliment. Et pour manger, ce ne fut plus le coin écarté au bord de la rivière que l’on retint, mais un grand établissement – salle à manger, tables et chaises – avec lequel mon ami avait passé accord, en s’assurant la complicité du chef cuisinier de l’endroit.

 

L’appât était bon. Je surmontai mon dégoût pour le pain, reniai ma pitié pour les chèvres, et devins gourmand de plats à base de viande, sinon de viande même. Cette tragédie dura environ une année. Mais ces réjouissances carnées ne dépassèrent pas une demi-douzaine de festins : l’établissement n’était pas disponible tous les jours et il n’était évidemment pas facile de se livrer fréquemment à de savoureuses, mais coûteuses préparations culinaires. Je n’avais pas de quoi couvrir les frais de cette « réforme ». C’était donc mon ami qui devait toujours  se procurer des fonds. J’ignorais où il les trouvait. Mais il n’était jamais à court, car il était décidé à faire de moi un carnivore. Il n’empêche que ses propres moyens devaient être limites ; d’où la nécessité de longs intervalles entre nos banquets. (…) Je savais que si ma mère et mon père venaient à apprendre que j’étais devenu carnivore, ils en seraient bouleversés. Et cela me rongeait le cœur.

 

En conséquence, je me dis : « Bien qu’il soit essentiel de manger de la viande, et tout essentiel de faire une campagne pour une « réforme » du régime alimentaire du pays, tromper ses parents et leur mentir est cependant plus grave que de ne pas manger de la viande. Lorsqu’ils ne seront plus et que je serai libre, j’en mangerai ouvertement. Mais jusque là, je m’abstiendrai. »

 

Je fis part de cette décision à mon ami, et jamais, depuis, je n’ai touché à la viande. Mes parents n’ont jamais su que deux de leurs fils étaient devenus carnivores.

 

********************************************1876-1887 (Inde)

 

(…) A Râjkot pourtant, j’acquis certaines notions fondamentales de tolérance envers toutes les branches de l’hindouisme et des religions sœurs. Car mon père et ma mère faisaient une habitude de fréquenter le Havéli comme les temples de Shiva et de Râma, et de nous y emmener ou nous envoyer, tout jeune encore. Des moines jaïns rendaient aussi souvent visite à mon père, et s’écartaient même de leur chemin pour accepter de manger à notre table – bien que nous fussions non-jaïns. Ils s’entretenaient avec mon père tant de religions que de sujets séculiers.

 

Mon père avait, d’ailleurs, des amis musulmans et parsis [zoroastriens de l’Inde] qui lui parlaient de leur religion. Il les écoutait toujours respectueusement, souvent avec intérêt. Les soins que je lui donnais me permettaient d’assister fréquemment à ces entretiens. Ces divers éléments concourent à m’inculquer une large tolérance religieuse.

 

Seul, le christianisme faisait exception, à l’époque. Je m’étais mis à le prendre en grippe. Et ce, pour une raison. En ce temps-là, on voyait souvent des missionnaires chrétiens, postés à un coin de rue proche du lycée, pérorer en couvrant d’injures les Hindous et leurs dieux. Je ne pouvais le supporter. Je ne dus pas m’arrêter plus d’une fois pour les écouter, mais c’en fut assez pour me dissuader de recommencer l’expérience. A peu près à la même époque, j’entendis parler d’un Hindou fort connu qui s’était converti au christianisme. Toute la ville raisonnait d’anecdotes et de fables sur son baptême : il avait dû manger du bœuf, boire de l’alcool, ainsi que de changer de vêtements, et s’était mis, depuis, à déambuler en costume européen, chapeau compris. Ces détails me portèrent sur les nerfs. Assurément, me disais-je, une religion qui vous oblige à manger du bœuf, à boire de l’alcool et à changer de vêtements, ne mérite pas ce nom. On racontait aussi que le néophyte s’était mis, sans plus tarder, à injurier la foi de ses ancêtres, leurs coutumes et leur pays. De cet ensemble de chose naquit en moi une répugnance pour le christianisme.

 

Mais le fait d’avoir appris à tolérer les autres religions ne signifiait pas que j’avais la moindre foi vivante en Dieu. Vers cette époque, le hasard me fit tomber sur la Manusmriti [Mémorables de Manu], parmi les livres de mon père. L’histoire de la création ne m’impressionnèrent guère et me portèrent, au contraire, tant soit peu à l’athéisme.

 

(…) Mais il est une chose qui prit fortement racine en moi : la conviction que la morale est le fondement de tout et que la vérité est la substance de toute morale. La vérité devint mon seul but. Elle prit de jour en jour une place grandissante, et sa signification n’a non plus jamais cessé d’aller s’élargissant pour moi.

 

Il est en goujarâti un sixtain du grand poète brâhmane Shâmal Bhatt (1640-1730), qui, de même, se grava profondément dans mon esprit et dans mon cœur. Le précepte qu’elle exprime – rend le bien pour le mal – devint mon principe directeur. Et je me passionnai à tel point pour lui qu’il fut à l’origine de plus d’une de mes expériences. Voici ces vers (à mon goût) admirables :

 

As-tu de l’eau, donne un bon repas ;

Pour une inclination de tête, fais une révérence zélée ;

Pour la valeur d’une poignée d’herbe, rends un écu d’or ;

Pour qui te sauve la vie, donne la tienne dans son malheur ;

Pour un bienfait, comptes-en-dix ; en esprit, en parole et en acte,

Celui qui rend le bien pour le mal, c’est comme s’il avait conquis le monde.

 

******************************************** 1888 (arrivée en Angleterre)

 

(…) L’usage de l’anglais ne m’était pas familier, et, hormis Mazmoudâr, tous les autres passagers de seconde classe était anglais. Je n’arrivais pas à leur adresser la parole, tant j’avais de mal, le plus souvent, à suivre leurs remarques lorsqu’ils prenaient l’initiative de la conversation. Encore, lorsque je comprenais, étais-je incapable de répondre. Je devais bâtir chacune de mes phrases dans ma tête, avant de pouvoir l’énoncer. J’ignorais tout de l’emploi du couteau et de la fourchette et n’avais pas la hardiesse de demander quels étaient, sur le menu, les plats sans viande. Je ne prenais donc jamais de repas à table et mangeais toujours dans la cabine, me nourrissant essentiellement de douceurs et de fruits que j’avais emportés avec moi.

 

(…) Un passager anglais, s’adressant à moi avec bonté, me contraignit à la conversation. Il était plus âgé que moi. Il me demanda ce que je mangeais, ce que je faisais, où j’allais, pourquoi j’étais timide, etc. Il me conseilla aussi de prendre mes repas à table. Il se moqua de mon entêtement à renier la viande, et me dit amicalement, pendant la traversée de la mer Rouge : « Tout cela est fort bien jusqu’à maintenant, mais vous devrez reconsidérer votre décision dans le golfe de Biscaye. Et il fait si froid en Angleterre qu’il est littéralement impossible de s’y passer de viande pour vivre.

 

–       Mais on m’a raconté que certaines gens arrivent parfaitement à vivre dans ce pays sans manger de viande, dis-je.

–       Soyez certain que c’est là un beau mensonge, me répondit-il. Personne, à ma connaissance, ne vit dans ce pays en se passant de viande. J’ai beau prendre de l’alcool, je ne demande pas de m’imiter – vous le voyez bien. Mais vraiment, à mon avis, vous devriez manger de la viande ; on ne saurait s’en passer pour vivre. »

 

Nous pénétrâmes dans le golfe de Biscaye, sans que je ressentisse le moindre besoin de viande ou d’alcool. On m’avait conseillé de recueillir des certificats attestant que je m’étais abstenu de toucher à la viande, et je priai mon ami anglais de m’en fournir un. Il le fit avec joie et je gardai précieusement cette attestation pendant quelque temps. Mais lorsque je m’aperçus, plus tard, qu’on pouvait obtenir ce genre de certificat tout en mangeant de la viande, ce témoignage perdit pour moi tout son charme. Si l’on ne devait pas faire confiance à ma parole, à quoi bon se nantir de certificats en la matière ?

 

Nous arrivâmes cependant à Southampton. C’était, autant que je m’en souvienne, un samedi. Sur le bateau, j’avais porté un costume noir, réservant spécialement pour le débarquement le costume de flanelle blanche que mes amis m’avaient procuré. Je m’étais dit que des vêtements blancs seraient plus seyants, le moment venu de descendre à terre. Et c’est donc vêtu de flanelle blanche que je posai le pied sur le sol anglais. Septembre touchait à sa fin, et je m’aperçus que j’étais le seul à être vêtu de la sorte.

 

(…)

 

Même dans ma nouvelle installation, je me sentais mal à l’aise. Je pensais sans cesse à mon foyer, à mon pays. Le tendre souvenir de ma mère me hantait. La nuit, les larmes ruisselaient sur mes joues et toutes sortes d’images de la vie familiale me rendaient le sommeil impossible. Je n’avais personne avec qui partager ma détresse. Et même si j’avais pu, à quoi bon ? Je ne connaissais pas de remède à ma peine. Tout m’était étranger – les gens, les manières, les demeures même. J’étais un parfait novice en matière d’étiquette anglaise et devais me tenir sur un qui-vive perpétuel. A cela s’ajoutait la complication de mon vœu de végétarien. Et les plats auxquels je pouvais toucher, étaient sans goût et insipides. Je me trouvais entre Charybde et Scylla. Je ne pouvais supporter l’Angleterre, mais il ne fallait songer à revenir aux Indes. J’étais venu, j’en avais pour trois ans maintenant, me disait la voix intérieure.

 

************************************************** 1888 (Grande-Bretagne)

 

(…) Je me lançai à la recherche d’un restaurant végétarien. Mon hôtesse m’avait dit que j’avais une chance d’en découvrir un dans le centre de la ville. Je trottais donc allégrement, couvrant mes quinze ou vingt kilomètres tous les jours, pour échouer régulièrement dans un petit restaurant où je me bourrais de pain sans arriver à me rassasier. Au cours de ces pérégrinations, le hasard me fit tomber sur un restaurant végétarien, dans Farringdon Street. Cette découverte m’emplit d’une joie comparable à celle de l’enfant qui voit comblé son vœu le plus cher. Avant d’entrer, je remarquai près de la porte une vitrine où étaient exposés des livres pour la vente ; entre autres, le Plaidoyer pour le végétarisme de Salt, que j’achetai pour un shilling. Après quoi, je pénétrai sans plus attendre dans la salle de restaurant. Ce fut le premier repas que je mangeai de bon cœur depuis mon arrivée en Angleterre. Dieu m’avait secouru.

 

Je lus de bout en bout le livre de Salt, qui me frappa vivement. Je peux dire que c’est de là que date ma décision de me faire végétarien. Je bénissais le jour où j’avais prononcé mon vœu devant ma mère. Pas un instant, je n’avais cessé de m’abstenir de toucher à la viande, au bénéfice de la vérité de mon vœu ; mais cela ne m'avait pas empêché de souhaiter en même temps que tous les Hindous fussent carnivores, et j'avais aspiré à le devenir moi-même un jour, librement, ouvertement, ainsi qu'à recruter des adeptes. Cette fois, pourtant, mon choix était fait : j'optais pour le végétarisme, et sa propagation devint dès lors une mission [Gandhi ji créa un club végétarien à Bayswater].

 

******************************************* 1889-1890 (Grande-Bretagne)

 

(…) Ils m’emmenèrent aussi un jour à la Loge Blavatsky et me présentèrent à Mrs Blavatsky [fondatrice de la Société théosophique] et à Mrs Besant. Celle-ci venait juste d’adhérer à la Société théosophique, et je suivais avec vif intérêt la controverse provoquée par sa conversion. Mes amis me conseillèrent de m’inscrire à cette société, mais je refusai poliment. « Je n’ai qu’une maigre connaissance de ma propre religion », leur dis-je. « Je ne veux appartenir à aucune secte religieuse. » Je me souviens d’avoir lu, pour répondre à leurs instances, la Clef de la théosophie, de Mrs Blavatsky. Cette lecture stimula en moi le désir de me familiariser avec les ouvrages de l’hindouisme, et me débarrassa de cette notion illusoire, répandue par les missionnaires, que l’hindouisme n’était que pullulement de superstitions.

 

Vers la même époque, je fis la connaissance d’un excellent chrétien de Manchester, dans une pension de famille végétarienne. Il me parla du christianisme. Je lui fis part de mes souvenirs de Râjkot. Il fut peiné de mon récit. « Je suis végétarien », me dit-il. « Je ne bois pas. Certes, beaucoup de Chrétiens s’adonnent à la viande et à la boisson ; mais l’Ecriture n’enjoint ni d’être carnivore, ni de toucher à l’alcool. Je vous en prie, lisez la Bible. » J’acceptai son conseil, et il me procura un exemplaire de la Bible. (…) Je me lançai dans cette lecture, mais je ne pus venir à bout de l’Ancien Testament. Je lus le livre de la Genèse ; les chapitres suivants m’endormaient invariablement. Mais à seule fin de pouvoir dire que j’avais lu la Bible, j’achevai laborieusement la lecture des autres livres, en me donnant beaucoup de mal, sans le moindre intérêt et sans y rien comprendre. Le Livre des Nombres me déplut profondément.

 

Mais le Nouveau Testament produisit sur moi une toute autre impression – notamment le Sermon de la Montagne, qui m’alla droit au cœur. Je le comparai avec la Bhagavad-Gîtâ. Les versets : « Et moi je vous dis de ne point résister à celui qui vous maltraite ; au contraire, si quelqu’un vous frappe sur la joue droite, présentez-lui encore l’autre. Si quelqu’un veut plaider contre vous pour prendre votre robe, abandonnez-lui encore votre manteau », me ravirent au-delà de toute mesure, et me rappelèrent le « Pour de l’eau, donne un bon repas… » de Shâmal Bhatt. Ma jeune intelligence s’efforça d’unir dans un seul enseignement la Gîtâ, La lumière de l’Asie et le Sermon de la Montagne. L’idée que le renoncement était la forme suprême de religion, exerçait un grand attrait sur moi.

 

********************************************1891 (Inde)

 

J’ai foi dans l’idée hindoue du Gourou et dans l’importance de ce dernier, quant à l’accomplissement spirituel de l’être. Je crois qu’il y a une part de vérité dans l’idée doctrinale qu’on ne peut, sans Gourou, atteindre à la vraie connaissance. L’imperfection du maître est peut-être tolérable quand il s’agit du siècle ; elle ne l’est pas dans le domaine de l’esprit. Seul, le jnâni [celui-qui-a-la-connaissance] parfait mérite la couronne de Gourou. Il s’ensuit donc une lutte perpétuelle pour arriver à la perfection. Car on a le Gourou que l’on mérite. Que l’homme lutte à l’infini dans ce sens, est juste et bon pour lui, et porte en soi sa récompense. Le reste est entre les mains de Dieu.

 

_____________________________________

************************************************